vendredi 15 avril 2011

Gary Cooper et le Maccarthysme

L'acteur Robert Taylor devant la Commission des activités Anti-Américaines, 1947

Les républicains conservateurs remportèrent les élections du congrès en 1946, ouvrant ainsi une faste période anti-communiste aux Etats-Unis. L’ultra conservateur J. Parnell Thomas devint président de la Commission sur les activités anti-américaines (la HUAC), et entreprit de s'intéresser à Hollywood. L'année suivante, une liste fut crée, recensant tous les noms suspectés de communisme, où refusant de répondre aux questions de la Commission (Les Dix d'Hollywood, écartés des studios, dont le scénariste Dalton Trumbo et le réalisateur Edward Dmytryk). Le climat de chasse aux sorcières commença à diminuer à partir de 1954 et le discrédit du sénateur Joseph McCarthy.

"I can't actually give you a title to any of them ..."
Le 23 octobre 1947, Gary Cooper fut appelé à comparaître devant la Commission, en tant que "témoin amical", l'acteur n'ayant jamais été suspecté, au contraire, de sympathies communistes. Il fut interrogé par Robert E. Stripling (le chef investigateur), puis par H.A. Smith.

- Êtes vous membre de la Screen Actors Guild ?
- Oui, je suis membre depuis sa fondation.
- Depuis que vous êtes à Hollywood, avez vous remarqué une influence communiste à Hollywood ou dans l'industrie cinématographique ?
- Je crois en avoir remarqué une.
- A votre avis, quel est leur principal moyen de propagande à Hollywood ou dans l'industrie ?
- Eh bien, je crois qu'il se fait par le bouche à oreille.
- Voulez vous parler plus fort s'il vous plaît, Monsieur Cooper ?
- Je crois qu'il est fait par le bouche à oreille et par l'intermédiaire de pamphlets - et des écrivains, je suppose.
- Que voulez vous dire par bouche à oreille Monsieur Cooper ?
- Eh bien, je veux dire un genre de réunions.
- C'est votre observation ?
- C'est mon observation propre, oui.
- Pouvez vous nous dire quelques unes des déclarations que vous auriez pu entendre lors de ces rassemblements que vous pensiez communistes ?
- Eh bien, j'en ai entendu un certain nombre, je pense, au fil des ans. Eh bien j'ai entendu des choses comme "Ne pensez vous pas que la Constitution des Etats-Unis est dépassé depuis 150 ans ?" ou, je ne sais pas, j'ai entendu des gens dire "Peut-être que le gouvernement serait plus efficace sans congrès" - des déclarations que je trouvaient très anti-américaines.
- Avez vous déjà observé des informations communistes dans des scénarios ?
- Eh bien, j'ai déjà refusé quelques scénarios que je pensais teintés d'idées communistes.
- Pouvez vous citer un de ces scénarios ?
- Non, je ne pourrais pas m'en souvenir.
- Un instant. Monsieur Cooper, vous n'avez pas une mauvaise mémoire.
- Je vous demande pardon ?
- J'ai dit que vous n'aviez pas une mauvaise mémoire, non ? Vous devriez être capable de vous souvenir de quelques scénarios que vous avez refusé parce qu'ils étaient communistes.
- Eh bien, je ne pourrais pas vraiment vous en citer un, non.
- Allez vous y penser, et fournir une liste à la Commission ?
- Je ne pense pas que je pourrais, car je lis la plupart des scénarios la nuit, et si ils ne me plaisent pas, je ne les finis pas, ou si je les finis, je les renvoie au plus vite à leur auteur.

Gary Cooper évoqua ensuite un scénario, racontant le destin d'un homme voulant créer une armée américaine, dont les soldats refusaient de défendre leur pays. H.A. Smith lui montra enfin un document attestant qu'il aurait déclaré être un communiste, devant une foule de 90.000 personnes, à Philadelphie. Cooper confirma aux investigateurs que le document était faux, et déclara que le parti communiste n'avait jamais tenté de se servir de lui.

Gary Cooper, devant la Commission des activités Anti-Américaines

Honnêteté ou prudence ?
Que penser de l'attitude de Gary Cooper, qui ne lâcha aucun noms et refusa d'y réfléchir ? Dans son ouvrage Les sorcières de Hollywood, chasse aux rouges et listes noires, Thomas Wieder ne prend aucun parti pris, et se contente de citer les faits. Carl Foreman, scénariste blacklisté (scénariste du Train sifflera trois fois, de Fred Zinnemann) prit la défense de l'acteur, dans une interview donnée à Bertrand Tavernier en 1969 : "En fait Cooper s'est bien comporté. [...] Quand il est arrivé devant le Comité, il était innocent ... C'était un enfant et il a eu une conduite d'enfant. Il n'a donné aucun nom, mais n'a pas su quelle attitude prendre. [...] Il y a une grande différence entre Cooper et Wayne [John Wayne fut un ardent combattant de Carl Foreman, qu'il réussit à chasser de Hollywood, ndlr]. Pour ma part, j'ai toujours vu quelque chose de lincolnien chez Cooper."

Toutefois, Jean-Paul Török, dans son livre Pour en finir avec le Maccarthysme, lumières sur la liste noire à Hollywood, est beaucoup plus nuancé, voire carrément hostile à l'attitude de Gary Cooper. Il rappelle que l'acteur fut à la fin des années 30 un membre des "Hussards de Hollywood", une organisation paramilitaire qui se "proposait de nettoyer le cinéma des éléments indésirables, entendez les rouges de tout acabit, sans distinction de nuances". Török écrit qu'on a voulu mettre "les opinions réactionnaires [de Gary Cooper] sur le compte de la naïveté", et entend plutôt parler de prudence ; les agents de la star, habituée aux rôles de héros, lui auraient conseillés de ne pas se mouiller et de faire l'imbécile, pour ne pas écorner son image auprès du public.

Article rédigé à partir des ouvrages de Bertrand Tavernier, Jean-Paul Török et Thomas Wieder (voir la Bibliographie du blog).

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